Moi qui n’ai pas connu les hommes

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Moi qui n’ai pas connu les hommes – Jacqueline Harpman

Quel roman !

Lu il y a déjà quelque temps, il me hante encore.

Ce que j’ai ressenti relève de la fascination. C’était presque hypnotique, impossible de lâcher le livre avant la fin. Il me fallait des réponses !

Et pourtant, une fois le livre refermé, rien, aucune réponse, que des questions, encore des questions, sur le sens de la vie, son absurdité. Et c’est tant mieux ! Je n’aurais pas aimé qu’on me serve des recettes toutes prêtes.

Que dire donc de l’histoire ? Elle se résume facilement.

Quarante femmes de tous âges sont enfermées dans une sorte de cave et sont gardées par des hommes qu’elles ne voient que lors des rondes, et quand ils viennent leur donner les repas.

Elles ne savent pas comment elles sont arrivées là, ne savent pas ce qu’on attend d’elles, elles vivent dans le plus grand dénuement, il ne leur reste plus que les souvenirs d’avant.

Les gardes ne leur adressent jamais la parole, et leur interdisent le moindre contact sous peine de coups de fouet. Pourquoi ? Elles ne le savent pas.

La plus jeune des prisonnières est arrivée ici très jeune et n’a aucun souvenir de sa vie d’avant la cave. Elle se nourrit de ceux des autres mais contrairement à elles, elle refuse de se soumettre.

Alors que les autres sont résignées et attendent simplement la mort, elle se révolte avec la seule chose qui la rend humaine : son corps et plus précisément son cœur. Elle va compter ses battements de cœur, et deviendra une horloge vivante pour tout le groupe. Se resituer dans un temps défini, c’est déjà exister.

Alors que malgré tout, les jours passent, monotones, une sirène retentit au moment où les gardes allaient ouvrir la porte pour donner les repas. Ils décampent tous sans demander leur reste et laissent là les femmes abasourdies.

Elles finissent par sortir et explorer l’extérieur.

Elles ne reconnaissent rien, la plaine qui s’étend à perte de vue devant elle ne leur évoque même pas un paysage terrien. Sont-elles sur une autre planète ?

Elle partent à la découverte de ce territoire et vont se rendre compte qu’existaient d’autres caves telles que la leur, mais que ce soient d’autres femmes ou des hommes qui y étaient prisonniers, aucun n’a survécu.

Elles sont seules et vont errer ainsi pendant des années, sans trouver de réponses à leurs questions.

Seule la plus jeune va questionner ce monde dans lequel elle évolue puisque c’est le seul qu’il lui est donné de connaître. Elle va consigner ses questions, son histoire dans un livre, celui que nous tenons entre les mains.

Ce roman est très dérangeant. Il s’agit d’une contre utopie dans laquelle le groupe des survivantes explore un monde qui ne leur renvoie rien de connu,ne leur donne aucune réponse à leur situation. Où sont-elles ? Pourquoi étaient-elles prisonnières ? Quel était le but de leurs gardiens ?

Elles finissent par ne plus avoir aucun espoir de retour dans leur vie passée. Seule la plus jeune continue d’interroger ce monde qu’elle découvre, tout en sachant qu’elle n’obtiendra jamais de réponses.

Pendant quarante ans, elles vont parcourir un monde sans aucun autre être vivant, se nourrissant de ce qu’elles trouvent dans les différentes caves où bizarrement l’électricité est restée en fonction et a protégé ainsi les vivres dans les congélateurs.

Vraiment étrange ce roman.

Il fait émerger nombre de questions. Est-il nécessaire d’avoir des souvenirs (même ceux des autres) pour apprécier et comprendre ce que l’on voit ? La jeune fille n’a jamais connu l’amour maternel, un cocon familial, ni le moindre contact physique. Est-ce pour cela qu’elle s’adapte mieux que les autres ? Les sentiments sont-ils un frein à la vie ?

Ce roman inclassable est à la fois cauchemardesque et frustrant par les questions existentielles qu’il pose sans apporter une once de réponse, mais il est aussi et bizarrement apaisant, peut-être par la routine et la répétition des gestes et des journées des personnages.

Il me semble que dans ce roman, Jacqueline Harpman aborde des sujets très différents tels que les rapports hommes/femmes, les rapports à la littérature et à l’imaginaire, mais aussi ce qui fait une société. Elle pose en fait la question de la nature humaine.

Enfin, il me semble, parce que je n’ai toujours pas les réponses.

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12 commentaires pour Moi qui n’ai pas connu les hommes

  1. Asphodèle dit :

    Bah dis donc tu me fais envie, voilà bien longtemps que je ne t’avais vue aussi enthousiaste et diserte !!! 😆 Mais c’est un peu effrayant ce genre de monde… ça me fait (un peu) penser à un roman de Serge Brussolo !

    • somaja1 dit :

      J’ai eu du mal à ne pas écrire des pages et des pages tellement ce roman m’a troublée. Tu te souviens du titre du Brussolo ? ça m’intéresserait.

  2. Kimysmile dit :

    C’est un livre que je n’oublierai jamais tant il m’a marqué…

    • somaja1 dit :

      C’est étrange l’effet qu’il fait ! Et je n’arrive pas à comprendre vraiment pourquoi ! Tu sais toi ? Tu avais fait un billet ?

      • Kimysmile dit :

        Non car je l’avais lu il y a très longtemps!
        Je pense que c’est l’histoire en général, le fait qu’elles arpentent ce monde sans jamais rencontrer personne, tout ça m’avait fait très froid dans le dos.

      • somaja1 dit :

        C’est vrai que c’est flippant ! En attendant, c’est un roman qu’on n’oublie pas facilement.

  3. anne7500 dit :

    Je l’ai lu il y a des plombes, ce roman ! Contente que cela t’ait plu, j’ai beaucoup aimé ce que j’ai lu de Jacqueline Harpman, sans doute très influencée par son autre métier, psychanalyste…

    • somaja1 dit :

      Il est vrai que quand on sait quelle était psychanalyste, on comprend mieux pourquoi il fait des nœuds à la tête. Ce côté psy se sentait aussi beaucoup dans « La Plage d’Ostende ».

  4. Mind The Gap dit :

    Visiblement tu l’as aimé ce livre. J’ai peur de ne jamais rentrer dans ce trip là et que ce soit un peu compliqué pour moi. Le manque de sentiments m’effraye…

    • somaja1 dit :

      C’est très cérébral mais pas dénué de sentiments, ou du moins de réflexion sur que sont les sentiments. Tu lis des choses bien plus tordues que ça ! Ce livre n’est pas compliqué à lire, la langue est simple et le style très fluide, mais il demande après coup de se poser et de revenir sur cet ovni qu’on vient de lire, et d’accepter de ne pas avoir compris. Après ça, j’ai eu besoin d’un bon polar pas compliqué avec une fin bien évidente et de grosses ficelles du début à la fin. 😉

  5. Syl. dit :

    Quelle étrange histoire !!! Tu m’en reparleras ? Garde-le en souvenir et tu me raconteras…
    Bise

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