Les Lieux sombres

les lieux sombresLes lieux sombres – Gillian Flynn – – titre original : Dark places

Voilà un roman noir intelligent et à l’écriture efficace, mais dont il est difficile de parler tant la narration est subtile.

Libby a sept ans quand sa famille se fait assassiner. Seule rescapée du massacre, elle témoigne avoir vu son frère aîné Ben, 15 ans, perpétrer les meurtres. Ce dernier va passer sa vie en prison, et la vie ne sera pas meilleure pour Libby qui va aller de famille d’accueil en famille d’accueil et qui souffrira de dépression chronique.

On la découvre alors qu’elle a environ 30 ans. Elle a jusque-là vécu de fonds reçus de    donateurs sensibles à son histoire. Mais d’autres cas plus intéressants que le sien font maintenant la une et attirent plus les âmes charitables, et l’argent se fait rare.

Libby se voit approchée par Lyle, membre d’une association qui soutient Ben et œuvre à trouver des preuves de son innocence. Contre une somme conséquente ce Kill Club lui propose de revenir sur son témoignage contre Ben. Sa première réaction est de refuser mais sa situation financière ne le lui permet pas, d’autant plus qu’elle n’a jamais envisagé de travailler. Elle compte bien tirer profit de ces dingues d’histoires criminelles et vivre un temps sur leur dos. Elle accepte donc de rencontrer quelques témoins de l’époque du drame, et met le pied dans un engrenage qui la mènera à la vérité.

Libby n’est pas un personnage attachant. Elle vit consciemment sur le dos des autres, elle est asociale, cleptomane, boit et se drogue, et estime que ce qu’elle a vécu la dédouane de toute relation « normale » avec qui que ce soit.

Mais petit à petit, on apprend à la connaître, à comprendre son repli et à apprécier sa verve et son humour décalé.

Les chapitres alternent entre l’enquête de Libby et le retour sur la journée du massacre à    travers les personnages de la mère et de Ben. Seule Libby utilise le « je ». Pour Ben et sa mère, la mise à distance est faite par l’usage de la troisième personne. Et ce changement    continuel de point de vue est diablement efficace. Le lecteur est immédiatement piégé, entraîné dans ce va et vient entre le présent et le passé, faisant des incursions dans la journée du 3 janvier 1985 (à 8h02, 9h13, 9h42, 10h18, 11h31, 12h51, […] 0h01, 0h02, 1h11, 2h12, 4h12) jusqu’à arriver à l’heure exacte des meurtres. Cette succession d’horaires génère un véritable stress pour le lecteur. Grâce à cela j’ai eu le sentiment que tout se jouait à quelques minutes près, je voulais que les heures passent plus vite pour comprendre ce qui était arrivé ; je voulais que Libby ouvre les yeux plus tôt, qu’elle ait connaissance en même temps que moi des événements de cette dernière journée. Mais donner au lecteur les éléments de compréhension avant le personnage principal est un procédé génial pour faire monter le suspense, et créer le malaise.

La question qui titille tout au long de la lecture n’est pas tant « qui a commis ces actes    barbares », même si on ne peut s’empêcher de faire des hypothèses, mais bien «  pourquoi » ? Pourquoi avoir massacré une femme seule et pauvre et ses deux fillettes ? Pourquoi ne pas être allé jusqu’au bout et assassiner également la petite Libby ?

La structure du roman tente de répondre à cette question en décortiquant les événements dans le temps d’une journée et du point de vue de Ben et de sa mère.

Quasiment tous les personnages, terriblement humains, pourraient être coupables. Du père alcoolique et violent, à la petite amie de Ben et son copain manipulateur, ados continuellement défoncés et pratiquant des rituels satanistes. Mais le talent de Gillian Flynn est de disséminer des indices pour mieux nous perdre ensuite.

Tous les personnages évoluent dans une époque de crise agricole dramatique pour les petits paysans, et ce contexte n’est pas sans avoir une importance cruciale dans le récit. Tout comme ce phénomène de société qu’a pu être le satanisme dans les années 80. L’obscurantisme d’une certaine catégorie de la population américaine, même de certains politiques, a joué un rôle important dans la façon dont l’affaire a été traitée et dans la condamnation de Ben.

Ce polar psychologique ne se lâche pas jusqu’à la fin – des plus surprenantes – où on reste    abasourdi quand on comprend que l’auteur nous a brillamment trimbalés depuis le début.

Tout au long de ma lecture, je n’ai pu m’empêcher de faire le parallèle avec Seul le    silence, d’Ellory. Non pas que l’histoire soit semblable, mais pour les similitudes dans la description d’une certaine Amérique profonde, pour le regard porté sur des laissés pour compte du système américain et pour la qualité de l’écriture.

 

Cet article, publié dans Romans policiers, est tagué , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Laisser un commentaire